Les compteurs à zéro
« – Combien de temps comptez-vous rester sur le territoire australien ? Pouvez-vous présenter vos billets d’avion de départ ? Avez-vous l’adresse où vous résiderez à Darwin ? Comptez-vous travailler durant votre séjour ? Comment pensez-vous subvenir à vos besoins durant 40 jours sans travailler ?… »
Nous venons tout juste de franchir la zone de contrôle des visas de l’aéroport de Darwin et avons aussitôt été dirigés vers cet agent, chargé d’investiguer sur notre cas. Sereins, nous répondons à chacune de ses interrogations, attendant avec impatience qu’il daigne nous donner l’autorisation de poser le premier pied en terre australienne. L’homme, sérieux mais souriant, finit par consentir à nous laisser passer, nous gratifiant même d’un « Bon séjour en Australie ! »
Cet interrogatoire n’a pour nous rien d’anodin : une introduction qui semble nous signaler « vous voilà entrés en territoire à hauts risques économiques, veuillez ouvrir votre portefeuille et boucler votre ceinture. La chute pourrait vous sembler rude ! »
Comme pour ralentir le processus inévitable, après avoir ajusté nos montres à l’heure locale, soit 23h, nous cherchons un espace confortable pour y passer la nuit.
Fini les transports pour moins d’un euro, les repas consommés dans les restaurants locaux, les nuits en auberge de jeunesse. Il va falloir à présent montrer nos capacités d’adaptation. Dès demain, nous entrerons dans une nouvelle danse. Notre décision est prise depuis un moment déjà : cette nouvelle aventure se vivra dans un van. En effet, ce moyen de transport nous permettra de dormir et cuisiner à notre convenance et ainsi, limiter nos dépenses journalières à 92€… Soit 3 fois plus élevée que notre moyenne asiatique, toutefois un montant très raisonnable pour nous plonger dans le célèbre rêve australien !
Passage à Darwin
Ce samedi 12 mai, après avoir passé la nuit entre deux fauteuils de l’aéroport, nous nous lançons, nos sacs sur le dos, dans notre première quête : dénicher l’agence de location de campervans à environ10 kmde là. Dès les premiers pas hors de l’enceinte de l’aéroport, nous découvrons un paysage tout autre où les dimensions semblent démesurées. Il nous faut marcher pendant plus d’une heure sur une route longue et monotone avant d’atteindre le centre industriel de la ville. Après cette longue marche, éreintés par le soleil de plomb, sans eau, nous atteignons notre but. Nous faisons tousser les cartes bleues et nous voilà en quelques tours de main, en possession de notre maison mobile. Darwin nous appelle ! Nous nous dirigeons donc sans plus tarder vers son centre ville. Au-delà de l’architecture, des parcs de la ville et de nos premières rencontres avec les perroquets, nous prenons nos marques avec notre bolide, le Breezer ! Nous profitons des sanitaires mis à disposition près d’une plage artificielle gratuite où nous nous prélassons un instant, faisons le plein de la glacière, révélant ainsi quelques secrets de notre nouvelle vie de nomade.
Kangourous de Garennes
Carte et volant en main, Mr Routenvrac parcourt les premiers kilomètres. Notre atterrissage à Darwin était calculé. Nous avons choisi de traverser le pays du nord au sud, par la route Highway, du nom d’un pionnier de l’exploration des terres centrales au climat rude et aux passages désertiques. Toutefois, avant de faire cap plein sud, nous profitons de la région en bifurquant sur quelques centaines de kilomètres à l’est, en direction du Parc National de Kakadu. Nous nous laissons aussitôt surprendre par l’environnement dans lequel nous évoluons : des routes impeccablement entretenues, des aires de repos riches en informations culturelles et touristiques, un centre d’information visiteur, quelques brochures mis à disposition gratuitement, des espaces de détente, et le tout dans le respect du cadre naturel. Quelques wallabies viennent à notre rencontre nous annonçant déjà des rendez-vous avec une faune sauvage fabuleuse. La signalétique routière de l’Australie nous permet de mieux comprendre les difficultés auxquelles nous ne sommes pas habitués : inondation des routes, présence de crocodiles, traversée de kangourous,…
Quand le dreamtime murmurait
Naissance d’une colonie
Pour comprendre l’univers dans lequel nous nous apprêtons à évoluer, il nous faut nous intéresser de près à l’histoire de ce pays. En effet, nous sommes rapidement interpelés par la cohabitation de deux peuples qui semblent aussi distants que différents l’un de l’autre. En traversant les quelques villes et villages, nous observons des hommes, femmes et enfants de couleur de peau très noire, toujours rassemblés en groupes, discutant bruyamment et qui, étrangers au reste du monde, ne semblent pas s’apercevoir de notre présence, ni de celles des autres occidentaux. C’est ainsi que nous découvrons pour la première fois les aborigènes. Loin des campagnes, là où nous pensions les trouver, ils semblent, à défaut de l’avoir accepté, s’être fondus dans un décor occidental. Quelles raisons les ont donc poussés à venir s’installer dans les villes ? Notre première interrogation se verra vite balayée par la vérité historique. En réalité, ce sont les villes qui ont poussé sous leurs pieds. En effet, les aborigènes, sous le nom de diverses tribus, occupaient bien l’ensemble du territoire australien avant l’arrivée de l’homme blanc. Mais alors que s’est-il passé ?
L’histoire commence le 19 avril 1770, alors que le navire britannique Endeavour atteint le « nouveau territoire ». Sur le pont, le capitaine James Cook s’émerveille. En quelques semaines, il établit la première carte européenne de la côte australienne. Quelques jours à peine après leur débarquement sur la plage, deux aborigènes viennent à la rencontre de l’équipage, les menaçant de leurs lances. James Cook les abat aussitôt de son mousquet. A partir de cet instant, chacun comprend que les relations anglo-aborigènes ne pourront s’établir dans un contexte de justice et d’équité, les uns et les autres s’observant avec méfiance.
En 1788, ce sont 11 navires britanniques qui accostent l’Australie. A leurs bords, 751 convicts (forçats et bagnards) ainsi que 250 soldats, officiers et leurs épouses. Les premières années d’occupation du territoire par les anglais se révèlent être fatales pour les aborigènes qui périssent à grands feux de variole, autres maladies importées d’Europe et sombrent dans l’alcoolisme. Les années s’écoulant, certains convicts accèdent à une « libération conditionnelle », leur permettant de choisir leur lieu de vie sur l’île. Alors que les officiels britanniques et les propriétaires terriens tentent de maintenir un système des classes rigide, excluant les anciens bagnards de la vie australienne, ceux-ci gagnent, d’année en année, davantage de droits et de libertés. En 1810, le gouverneur Lachlan Macquarie renforce les droits des convicts émancipés, leur octroie des terres et confère à plusieurs d’entre eux des fonctions officielles. C’est ainsi que se construit le nouveau peuple australien. Chaque année, les colons s’étendent sur le territoire, à la recherche de nouvelles terres d’accueil, riches en bétail et en eau, massacrant sur leur passage les aborigènes ou les réduisant en esclavage, leur offrant la possibilité de continuer à vivre sur leurs terres moyennant un travail en tant que gardien de moutons, gouvernante,… Alors que le 19ème siècle annonce de belles décennies au peuple britannique grâce à la découverte de mines en Galles du Sud, de plus en plus nombreux à quitter leur pays natal pour venir s’installer en terre australienne, les aborigènes disparaissent peu à peu, leurs cultures et leur histoire avec eux.
Terre d’aborigènes, l’autre temps des rêves
Aujourd’hui, le peuple australien est entré dans une nouvelle ère. Aborigènes et australiens issus de l’Occident tentent de trouver une culture et une histoire commune non sans difficultés. En voyageant à travers le pays, nous découvrons de nombreux sites dédiés à la culture aborigène, axés sur le respect de leurs croyances et la mise en valeur de leur art rupestre datant parfois de plus de 2000 ans. Lorsque la parole a enfin été donnée au peuple originaire, celui-ci s’est exprimé sous le code auquel il obéit, régi par des croyances ancestrales, ces règles longtemps bafouées par le peuple occidental.
En effet, les croyances religieuses des aborigènes se basent sur la survivance des esprits de leurs ancêtres, qui peuplaient la terre au temps de sa création. Ces êtres surnaturels ayant la faculté de se métamorphoser, se sont déplacés tout autour de la Terre, laissant ici et là leur empreinte, créant ainsi les montagnes, les vallées, les forêts, donnant vie aux plantes, aux arbres, aux animaux, aux hommes,… Epuisés, ils se sont endormis sur les chemins de leur création. Les aborigènes pensent que chaque être vivant, qu’il soit humain ou animal, possède deux âmes ; l’une, mortelle, s’éteint définitivement au moment de sa mort tandis que l’autre, éternelle, rejoint l’ancêtre auquel elle est rattachée, sur le site qui lui est sacré. Chaque personne naît avec son propre totem (oiseau, serpent, arbre,…), lien entre lui et son esprit. Il appartient à chaque individu de protéger durant son existence mortelle, les sites sacrés par le biais des rituels appropriés, qui mêlent danse, musique, chant, peinture, conte,… Par ailleurs, ces rituels ont une utilité culturelle. Enseignés scrupuleusement depuis plus de 2.000 ans, ils apportent une réelle connaissance aux générations d’aborigènes quant aux secrets de la nature, la manière de chasser, de trouver les points d’eau, de cuisiner, de contrôler les feux, mais également sur les relations de sang entre les individus, et au-delà, les partenaires possibles d’une union.
Kakadu National Park
Le parc national de Kakadu est, nous semble-t-il, un bel exemple de collaboration entre les deux peulples. Nous rencontrons Melissa, Ranger de vocation, dans un passage rocheux aux multiples peintures rupestres. Elle nous explique de nombreuses particularités concernant cet art, mais également le mode de vie des aborigènes, leur système « hiérarchique », l’importance de leurs croyances contées aux enfants comme un savoir inoubliable. Riches de ces informations, durant deux jours, nous parcourons le parc en empruntant ses nombreux sentiers de randonnées, prenant le temps de saluer ses occupants à 2, 4, 6 ou 8 pattes, et d’observer les vastes étendus depuis les nombreux points de vue aménagés. Sur le bord d’une table de pique-nique, nous rencontrons Sophie et Aubert, deux jeunes français immigrés pour un an, partis explorés les secrets de la terre australienne et qui nous accompagneront dans nos premières découvertes. Au hasard d’un sentier, agrippés aux pancartes « attention aux crocodiles », nous faisons les malins, dédramatisant au passage une situation qui se voudrait angoissante : croiser ce fameux reptile aussi rapide que puissant. Les quelques histoires locales sur la bête ne nous encouragent pas au tête-à-tête.
Bush, tantôt brûlant, tantôt flottant
« Mais c’est quoi le bush exactement ? » tente de comprendre Mr Routenvrac. Lieu de vie des aborigènes, terre sacrée, le bush est ce que l’on pourrait appeler plus communément la campagne. Prenant des allures de savane, de forêt, de jungle parfois, nous découvrons avec étonnement un royaume aux couleurs sauvages, peuplé de nombreuses créatures vivantes que nous ne sommes pas accoutumés à croiser : kangourous, wallabies, perroquets, dingos, aigles, renards, marsupiaux, émeus, crocodiles, dragon evils (lézards dragons),… Afin de ne rien manquer, nous marchons les yeux grands ouverts, silencieux au possible, tendant l’oreille au moindre bruit.
Les terres tantôt inondées par les pluies, rendent les chemins impraticables, et tantôt brulées, offrent des paysages d’une beauté chaotique. Incendier la terre selon un quadrillage de parcelles est une technique employée par les aborigènes, leur permettant de renouveler la végétation tout en contrôlant les risques de feu naturel. En effet, celui-ci beaucoup plus important, se révèle souvent dévastateur pour la végétation et impardonnable pour les animaux qui se retrouvent prisonniers des flammes et ne peuvent en échapper.
Cap vers le Sud
Prises d’eau
Ce jeudi 17 mai, à bord de notre navette, nous reprenons l’exploration. Nous ne croisons que tres rarement un autre véhicule, le plus souvent camping-car ou camion. Les distances sont si longues entre les villes qu’il semble plus naturel à tout un chacun de se déplacer, cuisine et lit dans le coffre. Nous prenons rapidement l’habitude australienne d’un salut amical de la main au travers du pare-brise. Malgré les centaines de kilomètres qui défilent, nous restons captivés par le paysage, nous extasiant sur la vue panoramique que nous offrent les étendus désertiques. Le ciel ne nous a jamais paru aussi vaste, les nuages aussi découpés. De nuit, l’horizon se tord et la Terre semble même nous appartenir, nous dévoilant des millions d’étoiles, voies lactées et galaxie.
Seul ombre au tableau : les kangourous morts écrasés, gisant au bord de la route, déjeuner somme toute apprécié par les carnassiers volants. Observant régulièrement quelques kangourous en bord de route, prêts à faire le grand saut au moment même de notre passage, nous imaginons difficilement, les road-trains, camions tractant jusqu’à 3 remorques, freiner leur élan pour épargner l’animal.
Après un rapide passage dans la ville de Katherine, nous poursuivons notre chemin jusqu’au site de Materanka. Nos premières journées de randonnée nous ont mis l’eau à la bouche. Nous partons donc à la recherche de cascades, longeant la rivière sur plusieurs kilomètres. Mr Routenvrac en profite pour sortir sa cane à pêche. Au bout de quelques tentatives, voilà enfin la ligne qui se tend ! « J’en ai un ! J’en ai un ! » lâche-t-il dans l’effort, tirant sur le moulinet. « En effet ! Attends, laisse moi le prendre en photo ! » s’enquière Mlle Cartensac. Le temps de sortir l’appareil et de cadrer, le poisson s’est déjà fait la malle, Mr Routenvrac tentant de le remonter sur la rive. Il ne restera finalement qu’un morceau de la gueule du poisson pour cliché… « J’ai été un peu vite » s’excuse-t-il autant envers lui-même qu’envers les potentracs. En chemin, nous découvrons la tanière d’un porc-épic. Nous tenterons quelques minutes de nous inviter pour le café mais celui-ci, trop timide, refusera de nous montrer le bout de son museau.
Avant de reprendre notre route, nous enfilons nos maillots de bain. Ce qu’il y a de formidable en Australie, c’est cette possibilité de trouver des petits coins exotiques, parfaitement aménagés, gratuits. Nous nous prélassons un instant dans la piscine thermale de Materanka, délectant le plaisir d’un bon bain chaud à l’ombre des palmiers…
Jeux d’ombres aux Devil Marbles
Il serait difficile de passer à côté sans les apercevoir : les Devil Marbles ! Ces gros rochers, déposés au cœur du désert, comme un énorme jeu de billes abandonné au coin d’une route. Nous arrivons tout juste avant le coucher du soleil. Nous garons notre van sur la seule aire autorisée et payante puis enfilons nos chaussures de randonnée. Nous nous prenons aussitôt au jeu du cache-cache avec le soleil, découvrant des ombres étonnantes, capturant des couleurs changeantes, escaladant au sommet des plus belles roches. Alors que le soleil nous abandonne, nous nous réfugions dans notre maisonnette, dînons en compagnie d’un dingo et nous couchons, aux pieds des roches. A 5h30, nous reprenons la partie en cours, prêts à accueillir notre partenaire de jeu. Encore ensommeillé, il apparaît au coin d’un rocher, nous montrant de nouvelles images que Mr Routenvrac capture avec passion. Au bout de deux heures d’une promenade animée, satisfaits, nous laissons le soleil s’étaler dans le ciel et nous en remettons à notre faim, délectant un petit déjeuner bien mérité !
Uluru et Kata Tjuta
Le Territoire du Nord se caractérise avant tout par ses grands espaces, ses montagnes et ses gorges. Aussi, arrivés à hauteur de Curtin Springs, nous décidons qu’il est temps de nous enfoncer plus au cœur du pays et bifurquons vers l’ouest, en direction du mont Uluru. L’entrée du parc, comme celle de Kakadu, nous coûtera 25$ chacun. Une somme qui nous permet toutefois de bénéficier pleinement d’espaces aménagés et d’accéder aux centres d’information qui nous aideront une fois encore à en apprendre beaucoup sur le pays, et plus particulièrement sur les aborigènes. En revanche, cette fois-ci, nous sommes interpelés par la manière de cultiver l’héritage de l’art rupestre. En effet, en visitant les galeries d’art, nous réalisons l’écart entre la réelle empreinte artistique de quelques œuvres aborigènes, et les reproductions faites à la chaîne, sur place et à la main par quelques aborigènes. Il faudra compter environ 400$ pour une réelle toile aborigène, ou encore 15$ pour un marque-page touristique sans intérêt. Nous nous interrogeons alors sur la gestion financière de cet art exploité partout dans le pays, semble-t-il une source de revenu considérable. Quel part revient à l’artiste ? Qui sont ces aborigènes payés pour effectuer des reproductions destinées au tourisme ? Dans quelles conditions cette collaboration a-t-elle lieu ?
Ce lundi 21 mai, après une visite enrichissante au centre culturelle, nous nous engageons sur le sentier de randonnée qui contourne le mont Uluru. Nous en faisons paisiblement le tour et découvrons en détail l’histoire de ce site sacré. Chaque interstice dans la roche, chaque cavité trouve sa raison dans les légendes aborigènes. Loin de notre morale occidentale, ici, la mère apprendra à venger la mort de son enfant, l’homme se verra enseigner l’importance de défendre son honneur,… Nous découvrons un site sacré où les femmes se retrouvent pour leurs cérémonies, un autre où les vieillards enseignent aux enfants, puis celui destiné aux cérémonies de passage de l’enfant à l’âge adulte… Nous admirons des peintures rupestres, nous plongeons dans chacune des légendes avec curiosité et respectons avec interrogations certaines interdictions de photographier tel ou tel site, le tout sous un soleil de plomb.
Le lendemain, nous partons à la découverte du mont Kata Tjuta, son voisin, appelé aussi le mont Olga. La balade, classée « difficile », nous conduira en haut du mont, nous offrant une vue incroyable, la plus belle de cette aventure de deux jours, au frais, au creux d’une gorge. Nous nous offrons un dernier coucher de soleil sur le mont Uluru puis reprenons notre route.
Retrouvez l’album complet ici !