Ce mardi 17 janvier, bien emmitouflés dans nos gros sacs de rangement, tout au fond du wagon, nous réalisons tout juste ce qui nous arrive. Nous nous apprêtons à vivre une aventure extraordinaire. Imaginez-vous, deux vélos pliables à 6 vitesse, montés sur des roues de 20 pouces, destinés à slalomer entre les scooters fous de la capitale vietnamienne qui se retrouvent choisis pour parcourir le monde en compagnie de deux aventuriers! Remarquez, on a bien cru qu’ils ne viendraient jamais nous chercher, ils en ont mis du temps pour se décider; mais depuis, il ne nous quitte plus. J’ai même entendu Mlle Cartensac dire à Mr Routenvrac que grâce à moi elle profitait bien plus encore de son voyage. Cadivrac a eu l’air un peu jaloux, moi je me suis senti devenir tout rouge.
Peut-être que vous l’avez constaté, mais depuis leur entrée au Vietnam, ils sont un peu désolés nos deux baroudeurs. Ils s’attendaient à trouver le soleil, des sourires chaleureux, des amis pour jouer avec eux… Mais il faut bien qu’ils apprennent, les voyages servent aussi à ça. Ici, au Vietnam, on en a vu des touristes passer, étaler leur argent. Alors, le temps passant, les gens se sont habitués à considérer les étrangers comme tels, des gens fortunés, étrangers à leurs modes de vie. Mais il ne faut pas désespérer. Cadivrac et moi-même avons décidé de prendre le contrôle de la situation. Nous nous dirigeons droit vers le centre du pays et de là, nous ne pourrons plus que nous rapprocher du soleil. Un petit coup de pouce ne leur fera pas de mal !
Coups de soleil à Danang
A peine arrivés à Danang, nous nous sommes mis en route tous les quatre pour trouver un hôtel. Sur la grande allée, au bord de la mer, Mr Routenvrac s’est mis à baver devant les milk shake. Mlle Cartensac n’a pas résisté et il a déjà fallu qu’on s’arrête. Nous les avons laissés savourer ce petit plaisir, puis on les a activés. Il était temps pour nous de nous décrasser un peu. Le trajet en train, pliés en 4, nous avait tout engourdis. Nous avons traversé toute la ville, puis remonté la plage jusqu’à la colline de Bai Dinh Pagoda d’où nous narguait le grand buddha. Ca grimpait déjà pas mal, mais ils ne se sont pas dégonflés et nous non plus. Arrivés tout en haut, nous avons apprécié la vue. Sur le retour, nous avons pris le temps d’admirer les bateaux. Il a encore fallu qu’ils s’arrêtent manger. Après 30 petits kilomètres. Je ne sais pas s’ils ont conscience de la route qui nous attend. « Culdesac, sois patient! Ce n’est que le début! » me souffle mon ami Cadivrac alors que je tortille du guidon.
« Hoi An! » fait l’âne!
Ce matin, ils se sont réveillés de bonne heure et de bonne humeur. Décidés, ils sont montés sur nos selles avec leurs gros sacs à dos en quête d’un restaurant. A les écouter, on allait affronter le mont Everest. Finalement, on partait seulement à Hoi An, une petite ville très jolie, à 30 km d’ici. C’était super important pour eux, pour la première fois, nous faisions une étape tous ensemble, sans train ni bus pour nous soulager. Malheureusement la journée n’a pas très bien commencé. Avant de partir, à midi, ils ont voulu manger dans un petit bouiboui. Mlle Cartensac, en voyant son assiette arriver, s’est décomposée. Depuis l’entrée, j’ai vu des larmes lui monter aux yeux. Une odeur de marée se dégageait du riz et un petit oiseau, tout entier, tête et pattes à peine cuisiné, siégeait au coeur de l’assiette… Mr Routenvrac a tout de même tenter de le manger mais il devait bien être depuis quelques jours déjà dans le plat… « C’est trop pour moi… » a fini par dire Mlle Cartensac, après avoir avalé son riz non sans un dégoût manifeste. Après une pizza bien européenne pour passer le goût, nous avons enfin pu prendre la route, Mlle Cartensac ayant retrouvé un grand sourire.
Rouler deux heures le long de la plage était un vrai bonheur. Cadivrac et moi avons d’ailleurs bien failli crever de rire: ils n’arrêtaient pas de se mettre droit debout sur nos pédales en se frottant les fesses! Pour le coup, ils n’ont pas été très malins. Ils nous ont équipés de porte-bagages tout neuf et malgré tout, ils ont préféré garder leurs sacs sur le dos… Quand on voit tous nos cousins les scooters porter des marchandises à qui mieux mieux… On devrait au moins pouvoir en faire autant! Enfin, on les a laissés faire pour cette fois-ci. Et ils s’en sont bien sortis. Au bout de deux heures, nous étions déjà arrivés. « Malgré nos petites roues » ont-ils rajouté, sans peur de nous vexer.
La ville de Hoi An est superbe. Après un délicieux tour en bord de mer, Mlle Cartensac et Mr Routenvrac nous ont laissé nous reposer tandis qu’ils visitaient de vieilles maisons familiales marquées par les inondations annuelles, le musée de céramique, un temple, une salle d’assemblée, les grandes boutiques de textiles,… Ils sont revenus nous chercher, enchantés!
On les a conduits d’un bout à l’autre de la ville, traversant également les deux ponts du bord du fleuve, rejoignant deux petites îles. Sur l’une, tout est aménagé pour accueillir le touriste, du bar à bières au restaurant sans oublier le bouiboui à chaque pas de porte. Alors que nous roulions tout autour, je me suis offert une sacré frousse. Une bande de jeunes garçons de 6 à 10 ans se sont rués sur moi, tenant fermement mon porte-bagage, refusant de nous laisser filer, réclamant un 1 dollar à Mlle Cartensac. Pour sûr, elle ne s’est pas laissée faire. Nous avons pédalé un peu plus vite pour quitter cet endroit. Mais en écoutant les rires des enfants et des adultes les entraînant, elle m’a semblé un peu triste… Sur l’autre île en revanche, nous avons découvert une population locale tout à fait étrangère au tourisme, plongée dans sa vie quotidienne; les enfants jouant aux billes dans les jardins, les hommes occupés à peindre leurs portails, astiquer leurs engins mécaniques, les femmes lessivant dans les cours, quelques jeunes en pleine expression karaoké dans leur salon, tous ayant un sourire à nous offrir.
Avant de quitter Hoi An, nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant local, un peu perdu entre deux rues. Ca nous a réchauffé le coeur de voir Mlle Cartensac et Mr Routenvrac aussi bien accueillis dans une famille vietnamienne. On s’est même demandés si ils ne nous avaient pas oubliés.
Easy rider
Ce samedi 21 janvier, à 17h, alors que Mlle Cartensac et Mr Routenvrac s’apprêtaient à nous remballer et attendre notre bus pour Nha Trang, un homme en scooter est arrivé à l’hôtel et nous a demandé de le suivre jusqu’au bus. « A nous de jouer! » s’est aussitôt écrié Cadivrac, toujours prêt pour une course poursuite. Moi, je suis un peu moins téméraire. Non je ne suis pas un trouillard! On voit bien que vous n’avez jamais rouler dans une ville vietnamienne! Ici, les gens circulent n’importe comment et les scooters et motos se comptent par milliers.
A défaut de code de la route, il y a le code de survie:
- Ne jamais rouler trop à droite. Il y a toujours quelqu’un pour arriver à contre-courant, au moment où l’on ne s’y attend pas.
- Toujours faire tinter sa clochette à l’approche d’un piéton, d’un cycliste ou d’un motocycliste arrêté sur le côté. Ils ne se retournent jamais et bien qu’équipés de rétroviseurs, ils ne s’en servent jamais et déboule systématiquement devant vous sans crier gare.
Au début, on s’étonnait de ne jamais voir d’accident et puis la réalité a repris le dessus. Depuis quelques jours, cela n’arrête pas… Ce qui m’effraie le plus ce sont les scooters familiaux. La plupart des vietnamiens n’ayant pas de voiture, usent du scooter comme du moyen de transport familial, pour les courts comme les longs trajets de plus de deux heures. Tandis que le père est au guidon, un jeune enfant dort paisiblement sur le tableau de bord. Derrière, la mère tient le plus petit debout devant elle ou allongé dans ses bras. Rares sont les enfants qui portent des casques. J’imagine parfois avec horreur, le résultat que causerait un freinage d’urgence, pourtant souvent de rigueur dans le trafic vietnamien. Heureusement, nos pilotes à nous sont prudents.
Arrivés à la gare routière, une fois pliés et ensactés, Mr Routenvrac nous a installés dans la soute. On voit bien qu’ils tiennent à nous. Méfiants, il nous surveillaient régulièrement du haut de leur fenêtre.
Nha Trang, le long au large
A 6h du matin, le dépliage a été un peu rude. Alors que les autres voyageurs attendaient leurs taxis, les bus citadins dormant encore à cette heure, nous étions déjà en route, à la recherche d’un hôtel. A 8h, nos deux voyageurs étaient déjà installés et restaurés. A nous le bord de mer!
Plein d’entrain, nous sommes partis pour une randonnée de plus de 30 km. Nha Trang est réputée pour posséder la plus longue plage de la côté Vietnamienne, soit 6 km de sable. Nous avons poursuivi au-delà, à travers les montagnes. Les gens sont toujours très amusés de nous voir sur les routes. Ce n’est pas tant Mlle Cartensac et Mr Routenvrac qui les fait rire. C’est de les voir pédaler. Souvent, oubliant notre présence, ils leur proposent même de monter sur leurs motos. Au début, j’en tremblais de peur. Dès qu’ils semblaient peiner un peu trop, je les imaginais renoncer, nous abandonnant sur le bord de la route. Mais j’ai vite compris qu’ils y prenaient du plaisir à transpirer! Ouf! Souvent, Mr Routenvrac se retourne pour constater l’état de ma cavalière. Elle garde toujours le sourire, alors il avance de plus belle. Dans les descentes, ils se penchent tous les deux en avant, les coudes pliés et s’offrent le luxe de dépasser quelques scooters! Quelle fierté pour nous! Tout de même parfois, on se sent seuls avec Cadivrac. On regarde tous ces véhicules à moteur et nostalgiques, on se demande où sont passés tous les vélos… Enfin, je préfère ne pas y penser.
Avant d’atteindre le premier village de la côte, nous avons apperçu un « village » vacancier constitué d’une dizaine de huttes en bois et paille. Les travaux stoppés en cours de route, il nous a semblé, de loin, voir un paradis abandonné où la nature avait repris le dessus, les arbres recouvrant l’entrée, le rendant inaccessible.
Sur le chemin du retour, nous avons emprunté une route défoncée. Mr Routenvrac a dit qu’il fallait faire attention, qu’on n’était pas des V.T.T. Je ne sais pas ce que ça signifie mais tout de même, on est plutôt costauds. Nous avons dévalé à toute allure, le dénivelé qui nous avait tous fait transpiré à l’aller.
De l’autre côté de la ville, nous nous sommes rendus au pied du téléphérique le plus long du monde. Mr Routenvrac trouvait l’idée de se rendre sur l’île de Vinpearl dans ces grosses machines, plutôt sympa. A l’accueil, on nous a refusé l’entrée. Les vélos n’y sont pas admis. De plus pour 16 euros, ne sachant ce que leur réservait l’arrivée sur une île aussi touristique, ils ont préféré rebrousser chemin et continuer de profiter de cette petite ville accueillante avec nous. Mlle Cartensac, m’ayant abandonné quelques instants, s’est offerte une petite ballade les pieds dans l’eau sur la plage.
Ce soir, dimanche 22 janvier, nous fêtons notre premier nouvel an chinois. Serrés l’un contre l’autre, dans la cour de l’hôtel, à peine les premiers feux retentissent dans le ciel, nous avons entendu Mlle Cartensac et Mr Routenvrac sortir en trombe de leur chambre. Épuisés, ils s’étaient assoupis. Il aurait été dommage qu’il rate un moment d’éblouissement pareil! Impossible de compter le nombre de feux qui jaillissaient droit dans les airs dans une parfaite pagaille! Quel beau spectacle!
Avant de quitter le bord de mer, nous nous sommes défiés tous les quatre sur une dernière colline afin d’admirer les tours Po Naga. Mlle Cartensac et Mr Routenvrac nous ont laissés un moment pour entrer dans l’une d’entre elles. De nombreux vietnamiens viennent s’y recueillir et y brûler de l’encens.
On dirait le sud…
Depuis quelques jours, Mr Routenvrac et Mlle Cartensac parlent souvent d’un pays que nous ne connaissons pas: le Cambodge et il me semble que nous nous en approchons sérieusement… Je ne suis pas très rassuré de quitter mon pays, et de partir pour tant de kilomètres. Mais il nous reste encore une semaine pour leur faire visiter le sud du Vietnam et nous avons bien l’intention de ne pas rater la sortie de notre pays natal. Cela s’annonce plutôt bien. Demain, nous prenons le train pour Ho Chih Minh puis dans la foulée le bus pour Can Tho. De là, il nous restera 150km à effectuer et il semblerait que nos sportifs comptent sur nous pour cette dernière étape… Il ne nous reste plus qu’à serrer les boulons et espérer être à la hauteur!
Signé Culdesac.
D’après l’idée originale de l’Eskanouil.
Retrouvez l’album complet ici.