Les jours avancent et la date d’expiration de nos visas vietnamiens approchent à grands coups de pédale. Finies les grandes villes, nous décidons d’éclipser littéralement Ho Chi Minh. Ce mardi 24 janvier, arrivés à 5h du matin, nous ouvrons tout juste nos yeux à la gare de la cité la plus moderne mais également la plus bruyante du Vietnam. Aggripés à nos guidons, nous traversons les 10km qui nous séparent de la gare routière. Le soleil se lève à peine lorsque nous nous installons dans notre bus à destination de Can Tho. Les yeux bien ouverts ainsi que la bouche prête à engloudir le croissant-fromage offert par la compagnie de bus.
Une gaufre ensoleillée
Loin de ce que nous connaissons des villes vietnamiennes, Can Tho est tout ce que nous attendions. Il nous est bien difficile de trouver le centre ville mais une fois plongés dans ce qui s’avère être le coeur de la cité, nous y ressentons une profonde sérénité. Si nous nous sommes éloignés des bords de mer, nous voilà à présent aux pieds du Mékong. Le long du fleuve où voguent les jacinthes d’eau, les quelques vietnamiens nous interpellant pour nous proposer un tour en bateau, prennent le temps de discuter avec nous dans un anglais correct, ne s’offusquant nullement de nos refus, acceptant volontiers nos signes de sympathie.
Circulant dans les rues de la ville, à la recherche de « on ne sait jamais trop sur quoi on peut tomber », Mr Routenvrac est attiré par un hangar d’où se dégagent des rires d’enfants. En nous rapprochant, nous découvrons au travers des grilles, un skate-Park de fortune. Une dizaine de jeunes enfants, les pieds chaussés de patins à roulettes taille 45 et non lacés, se livrent à de formidables gamelles incontrôlés ou jambes et bras se mélangent et se confondent, dans une gaieté enfantine.
Pour les fêtes du TET, le nouvel an chinois, le soir, de nombreux vacanciers se rejoignent sur l’esplanade, accompagnés de leurs enfants qu’ils gâtent de ballons de baudruches, jouets en plastique, boissons et friandises. Nous assistons aux séances photographiques familiales devant temples, dragons et statues. Les enfants courent, jouent, tandis que les parents se réjouissent d’un spectacle pour le moins amateur et confus. Entre deux baraques de jus de papaye, nous dénichons un vendeur de gaufres artisanales. Malvoyant, lorsque Mr Routenvrac lui donne un billet de 100 000 au lieu de 10 000, il s’en aperçoit aussitôt, lui fait remarquer et lui rend la monnaie. Un geste dont nous n’étions plus coutumier et que nous savons apprécier. Place à la gaufre maintenant! La première bouchée est décisive. Nous ferons de cet homme notre fournisseur officiel pour les deux jours à venir et, doublant la mise, achetons dans la foulée notre petit déjeuner du lendemain!
Y a pas de marché, y a qu’à rouler
En quête du marché flottant de Phong Dien, nous partons tôt ce matin. Encouragés par les « Hello! » et les rires des enfants, nous remontons les chemins le long du Mékong, jonglant sur ses bras grâce aux nombreux ponts que nous croisons sur notre route. Au loin, des percussions attirent notre attention. Un dragon acrobatique fait le show dans un petit village et nous restons captivés quelques instants. En l’occasion du TET, les groupes de danse se déplacent en camions et se produisent ainsi, de villages en villages, offrant à tous les vietnamiens leur spectacle traditionnel.
Le dragon, incarné par deux jeunes acrobates, bondissant de piliers en piliers à deux mètres du sol, est cette fois-ci très habile et a sans nul doute repoussé tous les mauvais esprits des environs pour cette nouvelle année. Nous repartons après quelques applaudissements et ne parvenons pas à trouver le chemin conduisant aux bateaux susceptibles de nous conduire sur le marché flottant. Nous errons de ponts en ponts, prenant plaisir à nous égarer de bananiers en cocotiers.
Can Tho rencontre, c’est plus sympa !
Accueillante et chaleureuse, nous estimons la ville de Can Tho être le lieu idéal pour engager notre prochain défi: remonter le Mékong et atteindre la frontière cambodgienne. Ressourcés, ce jeudi 26 janvier, nous équipons Culdesac et Cadivrac . Cette fois-ci, ayant acheté des tendeurs au marché, nous voyagerons le dos léger.
Dès les premiers kilomètres, nous savourons notre totale liberté. Toutefois, il nous faut emprunter des routes très fréquentées. Aussi n’est-il pas question de relâcher l’attention une seconde. Sans doute aussi concentrés qu’excités par l’expérience, nous pédalons bien plus vite que nous ne l’aurions pensé. A midi, nous dépassons fièrement la borne « 40km » avant de nous attabler dans une petite cantine locale. Nous sommes accueillis simplement mais avec la meilleure assiette qui nous fut donner de manger au Vietnam après quoi, nous nous voyons offrir par la maison pastèque et friandises. Rien de tel pour attaquer nos 20 derniers kilomètres.
A notre arrivée à Long Xuyen, nous sommes agréablement surpris par cette première performance. A peine installés, aussitôt repartis pour une expédition dans la ville. C’est alors qu’au hasard d’une rue, sur un renseignement échangé, nous faisons la connaissance de Chau. « Si vous avez le moindre problème, n’hésitez pas à m’appeler » insiste-t-elle. « Tu sais, nous ne sommes ici que pour la journée alors si tu es disponible peut-être peux-tu passer un moment avec nous? » s’enquiert Mlle Cartensac. Chau est ravie par cette proposition et s’empresse d’aller échanger son scooter contre sa bicyclette électrique. Et nous voilà accompagnés du meilleur guide de la ville. Sur le trajet, entre deux « Attention! », Chau nous explique sa situation et s’intéresse à notre avis sur son pays. Etudiante en tourisme, elle aide tres régulierement sa mère dans leur magasin de vélo. « Voulez-vous visiter ma maison? » finit-elle par nous proposer, déclenchant un sourire radieux sur le visage de Mlle Cartensac.
Autour d’un coca et de quelques friandises, nous questionnons notre nouvelle amie sur les coutumes vietnamiennes, le nouvel an chinois, toutes nos questions restées sans réponse jusqu’alors. Patiemment Chau nous répond, heureuse de pouvoir se rendre utile et d’en apprendre également un peu plus sur nos différences. Avant de nous quitter, Chau profite de nos lacunes en saveur fruitière locale pour nous conduire au marché. Sur place, elle fait le plein de deux de ces fruits que nous souhaitions goûter depuis quelques jours. « C’est un cadeau pour vous! » nous lance-t-elle. « Maintenant, je dois rentrer chez moi! Bon voyage! » Nos au revoir sont rapides mais sincères. « Merci Chau. »
Chau Doc’vant
Une nuit d’un lourd sommeil, une omelette et le premier chocolat chaud du voyage pour Mlle Cartensac, nous voilà fin prêts pour notre deuxième étape sportive: Long Xuyen – Chau Doc, soit 55km.
Cette fois-ci les kilomètres défilent à vive allure, et malgré quelques rapides arrêts, nous parvenons à faire la route dans la matinée. Arrivés à Chau Doc, Mlle Cartensac peine à descendre du vélo: un bon moyen de se fixer des limites n’est-il pas de les dépasser… « La prochaine fois, on mangera à mi-chemin parce que pour moi, ça fait quand même beaucoup d’une seule traite. » – « Je ne t’ai jamais interdit de t’arrêter quand tu étais fatiguée » rétorque Mr Routenvrac. – « Ce n’est pas une question de fatigue, c’est une question de rythme raisonnable… » ronchonne Mlle Cartensac, tentant de se raisonner elle-même, consciente d’en avoir fait un peu trop. Ce point étant fait, nous nous restaurons à l’entrée du village, puis choisissons un endroit où nous reposer. En guise de chambre, nous logeons dans ce qu’il serait plus convenable d’appeler une cellule, dans une guesthouse, tous les hôtels affichant complets, en raison du TET très certainement et du caractère frontalier de la ville.
Chau Doc est en effet située à 30km de la frontière. Nous envisageons donc d’y passer deux journées entière afin de goûter un peu plus au charme du sud du Vietnam et de pénétrer reposés au Cambodge, réceptifs à ce nouveau pays.
A voir : une bonne descente
« On se fait quand même une petite ballade à vélo? » Une petite ballade… Le mont Sam… A 6km du centre ville, nous contournons la colline, puis prenant notre élan, nous nous lançons à la conquête du sommet… Seuls à pédaler, nous croisons scooters et motos durant tout le trajet, Culdesac et Cadivrac, plus fiers que jamais. Luttant parfois pour transporter jusqu’à 3 ou 4 passagers, les motos semblent toutefois tenir le coup. « Ils n’ont pas intérêt à s’arrêter dans la montée » s’amuse Mr Routenvrac, « parce qu’à coup sûr, ils ne redémarreront pas. » Nous parvenons tant bien que mal, au prix de nombreux zig-zags au sommet du mont Sam.
Après avoir profité de la vue imprenable, notre attention se porte sur une attraction improbable en un tel lieu: un tir à bouchons. Nous décidons de faire honneur au jeu bien évidemment. Après 5 tirs infructueux, Mr Routenvrac tend l’arme à Mlle Cartensac. « Mais si essaies, on ne sait jamais, la chance du débutant. » Mlle Cartensac saisit le fusil et de son premier tir, envoie son bouchon tout droit sur la petite coupe qui valse derrière les cannettes. « Tu l’as bien dit! La chance du débutant! » Réjouis, nous sirotons notre gain, un soda gazeux pas frais et repartons à nos montures.
Après l’effort le réconfort! Je dirais même plus, après l’effort, les sensations! Debout sur nos destriers, nous nous élançons pour 5 minutes de pur bonheur. Esquivant quelques trous d’une route défoncée, virages contrôlés ou pas, Culdesac et Cadivrac ne se refusent rien, pas même de doubler les motos. Arrivés en bas, Mr Routenvrac visionne la vidéo qu’il vient de réaliser: « C’est parfait pour choper le mal de mer ou la nausée… »
Au pied du Mont Sam, nous sommes surpris de constater la présence de nombreux panneaux de sensibilisation à l’environnement. Parfois déteriorées par le temps, gisant au fond d’un fossé, ils semblent avoir été assimilés au paysage, sans que personne n’ait eu conscience ni de leur présence ni de leur signification. Les sacs plastiques parsemés par milliers comme partout ailleurs nous rappellent que quelques pancartes ne suffiront jamais à changer les mauvaises habitudes encrées dans les moeurs depuis des générations.
Sortie de route…Vietnamienne
Ce dimanche 29 janvier, notre réveil est matinal. Nous faisons nos sacs pour la dernière fois, après trois semaines passées dans ce pays qui n’a pas toujours été tendre avec nous mais qui a su nous faire cogiter, réagir, apprendre et nous a finalement offert une sortie en douceur. Nous réalisons une fois de plus le charme de notre voyage qui se construit petit à petit, au gré de nos rencontres, nos découvertes et nos surprises, les bonnes comme les moins bonnes.
Quelques recherches sur internet nous ont permis de déterminer notre itinéraire. Une fois la frontière franchie, il nous faudra encore parcourir 45km avant de rencontrer la première ville: Takéo. La journée s’annonce sportive. Cependant, nous sommes très excités à l’idée de transiter d’un pays à l’autre par nos propres moyens. Au bout de quelques kilomètres seulement, Mlle Cartensac ralentit étrangement. Mr Routenvrac, compréhensif, se contente de réduire la cadence, conscient toutefois qu’à ce rythme, nous ne sommes pas prêts d’arriver. Malgré bien des efforts, Mlle Cartensac commence sérieusement à tirer la langue. « Ecoute, je peine de plus en plus, alors soit c’est ma jambe qui est au point mort soit il y a un problème avec le vélo. » – « Laisse moi te rassurer, il y a un problème avec le vélo. » En effet, le pneu arrière de Culdesac est tout simplement à plat! Nous espérons sans trop y croire qu’il suffira de regonfler mais 200m plus loin, nous devons nous faire une raison; Culdesac vient de subir sa première crevaison. C’est parti! Nous déséquipons le blessé et Mr Routenvrac s’attelle aussitôt à sa première réparation.
Quelques vietnamiens curieux, s’approchent peu à peu, finissant inévitablement par y mettre le nez, prêts à pousser Mr Routenvrac pour finir le travail. « Bon, c’était pas si sorcier, mais maintenant il faut vraiment repartir. » Mlle cartensac rassurée se remet à pédaler avec entrain, un brin méfiante envers Culdesac. A 11h30, nous apercevons enfin la frontière. Nous sortons nos passeports. Quelques coups de tampons, on connaît la chanson. Entre deux barrières, dans le no man’s land, Mlle Cartensac s’extasie: « Tu te rends compte, on est nulle part! Moi je trouve ça plutôt confortable. Tu ne voudrais pas passer la nuit ici? » – « Ben voyons, il ne manquerait plus que ça. » La première barrière cambodgienne passée, nous sommes orientés vers le bureau des visas. Nous remplissons sagement nos formulaires, accolons nos photos et nous acquittons de 20 dollars chacun. « 25 dollars » corrige l’officier. « 25 dollars? Depuis quand? Où est-ce que c’est écrit? » interroge Mr Routenvrac qui s’est préalablement renseigné du coût sur internet. N’ayant plus un dollar en poche, nous allongeons avec un billet de 10€. « Tout de même ça sent l’arnaque. On va demander un justificatif de paiement. » L’officier est surpris et ne semble pas habitué à ce genre de requête. Soudain il se lève, nous quitte et disparaît dans un bureau voisin. Ne voulant pas d’histoire, nous récupérons nos vélos et nous apprêtons à reprendre notre route quand un autre officier sort de ce même bureau, s’approche de nous et nous tend deux billets de 5 dollars, sans plus d’explication. Nous ne demandons pas notre reste et nous éloignons, tentant de comprendre… « Quoiqu’il en soit il n’est pas très clair cet officier… » Les derniers tampons obtenus, nous entrons enfin sur le territoire cambodgien.
Dès les premiers kilomètres, nous observons avec curiosité les changements s’opérer. Le traffic vietnamien dense s’est arrêté à la frontière. Ici, les routes sont paisibles. Sur notre droite le Mékong puis de grandes étendues vertes se perdent a l’horizon. Sur notre gauche quelque montagnes appartenant aux paysages vietnamiens semblent nous saluer une dernière fois. Nous traversons un premier village sans trouver nulle place où nous restaurer. Au second village nous nous installons dans une cantine du marché. Les femmes autour de nous, très serviables, nous accompagnent dans nos premiers mots cambodgiens et nos premières calculs de conversions de dollars en riels. Encore une monnaie qui se compte par milliers.
Sur la route de Takéo, les derniers kilomètres nous paraissent monotones: pas un virage pour nous distraire. 75km, ça en fait du goudron, des arbres, des champs, des villageois. « Tu as remarqué comme leur peau est plus bronzée ». Enfin nous arrivons. Vite un lieu pour allonger nos gambette éreintées. Au bord du fleuve, L’auberge Daunkeo nous charme avant même que nous ayons pu admirer la vue depuis notre terrasse. Nous déposons nos sacs dans notre chambre et nous laissons aller à la détente. « Je sens qu’on va se plaire ici! » s’exclame Mlle Cartensac.
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