Quitter le territoire du Nord pour rejoindre l’Australie du Sud nécessite d’emprunter la seule et unique route, la Stuart Highway, du nom du pionner explorateur, sur plus de 3000 kilomètres. Certains nous avaient promis des heures d’ennui, d’autres nous l’avaient recommandé, les derniers s’inquiétaient de nous voir réaliser un pareil périple, aux risques de souffrir de la solitude, du manque de gasoil ou pire, d’eau… Aventuriers dans l’âme, nous décidons que cette route nous appartiendra le temps d’une traversée. Finalement, rien de tout cela n’était à craindre. Habitués à explorer les pays d’Asie souvent peuplés et bruyants, il a bien entendu fallu nous accoutumer à ce nouveau monde fait de sable et de roche, sauvage, calme, apaisant, simple,… Mais nous nous sommes laissés prendre à chacune de ses surprises, nous arrêtant pour contempler les termitières, les points d’eau, admirant heure après heure, journée après journée les changements de végétation et la vie animale poursuivre son cours. Levés à 6h30 le matin, couchés à 20h au plus tard, nous nous sommes montrés obéissants au rythme imposé par le soleil, attentifs aux moindres mouvements de la nature.
Contrairement à ce que nous avions dans l’idée, il y a près d’un village tous les 100 à 200km. Lorsqu’il n’y a pas de station Shell, il est courant de faire le plein d’essence au pub-restaurant du coin, au déco style outback et à l’ambiance très country, où le patron est bien plus pressé de servir la bière à ses habitués qu’à encaisser le touriste. Nous prenons alors le temps d’écouter les chants des groupes de la région, semblent-ils très amusants au vue des rires gras des clients. Si les supermarchés ne se sont pas implantés dans toutes les villes, on trouve toujours une petite boutique alimentaire. Le voyage en camping-car étant très courant dans le pays, il est commun de trouver, si ce n’est un camping, un point de ravitaillement en eau, souvent associé à des sanitaires, proposant parfois une douche pour 2 ou 3$. Comment se plaindre alors dans ces conditions ? Peut-être quelques grognements nous auront échappé en découvrant des prix de gasoil variant à la hausse dans les coins les plus reculés, mais il a bien fallu que nous jouions le jeu.
Un petit tour sur la lune
Lorsque, ce mercredi 23 mai, nous pénétrons dans l’Etat du Sud, nous découvrons très rapidement, d’énormes buttes de sable disséminées le long des routes! Pas de doute, nous approchons de Coober Peddy, une ville minière à l’allure lunaire. Le paysage est ravagé, les engins retournent chaque parcelle de terre, tels des taupes dans un jardin.
Ce qui caractérise Coober Peddy, c’est avant tout le mode de vie qui a découlé de son activité unique : l’extraction d’Opale. Plus de 45 nationalités différentes cohabitent, pour la plupart issus de l’immigration d’origine européenne datant de la fin de la seconde guerre mondiale, tous attirés par la soif de l’or, ici l’opale. Nombre d’entre eux vivent dans des maisons souterraines, bénéficiant ainsi de la fraîcheur de la roche l’été et d’une isolation l’hiver, la ville étant située dans une zone totalement désertique. Et lorsque nous observons les quelques maisons hors-sol, nous découvrons des constructions précaires faites de tôle et de bois, certainement insuffisant pour se protéger convenablement du climat mais également des cyclones fréquents dans la région. Nous nous extasions sur quelques photos incroyables de cyclones et de tempêtes, à la boutique « Opale Cave ». Nous y visitons par la même occasion, un musée riche et instructif sur la pierre précieuse aux mille couleurs. Visiter les quelques maisons souterraines s’avère ici être une véritable attraction touristique. Nous optons donc pour la découverte gratuite des églises souterraines. Nous sommes agréablement surpris par la simplicité architecturale des lieux.
Dans un univers totalement différent, nous nous arrêtons un instant devant la célébrité locale, le vaisseau spatial du film « Pitch Black » qui semble s’être écrasé ici à la suite d’une guerre intergalactique. Cet élément de décor, entre autres, apporte à la ville un caractère insolite qui attire 150.000 visiteurs par an. C’est l’heure du pique-nique en haut du « Big Winch ». Ici, la vue sur la ville est remarquable, mais le « Big Winch » a connu ses heures de gloire. Aujourd’hui, à vendre, il subit les aléas du climat et une chute vraisemblable de fréquentation. Serait-ce la fin de cette fantasque attraction qu’est l’opale ? Une fois encore, nous sommes stupéfaits de constater la capacité de l’homme à fonder toute une ville sur son seul désir de piller le sol.
De mer du nord à mer du sud
Après douze jours passés dans cette merveilleuse expérience désertique, nous arrivons, ce vendredi 25 mai, à la ville de Port Augusta. Nous retrouvons les facilités de la ville plus par nécessité que pour le plaisir. Il est temps de remplir la glacière et de trouver une prise pour recharger l’ordinateur. Voilà ce que nous n’avions pas prévu : un manque d’électricité. Barricadés dans notre van, nous subvenons le plus souvent à nos besoins par la méthode Routenvrac et mettons rarement le pied dans un camping, jamais dans un restaurant ou dans quelque lieu civilisé. Aussi, lorsqu’après 4 heures de rédaction acharnées la batterie tombe en rade, il nous faut recourir à des subterfuges. Le plus courant mais loin d’être le plus fiable est de s’installer dans un Mc Donald, d’y déguster la fameuse glace « soft cone » à 30 cents, et ainsi de bénéficier en prime d’internet. Toutefois, les prises électriques sont fréquemment cachées des clients, ou placées au plafond, inatteignables,… Nous n’aurions jamais imaginé rencontrer ce problème, ici, en Australie ! Après un tour dans le centre-ville de Port Augusta, un repas sur le port et une halte électrique, nous reprenons donc notre route.
Papa chèvre
Ce samedi 26 mai, après un bout de route très matinal, nous parvenons à la ville de Wilpena, dans le parc national des Flinders Ranges. Au centre d’information, nous questionnons un agent sur les randonnées accessibles en cette saison. Celui-ci nous accueille d’un sourire figé très caractéristique du conseiller touristique australien, tiré jusqu’aux oreilles qui nous en dit déjà long. Il se lance alors dans un grand monologue, insensible à nos regards interrogateurs, marmonnant entre ses lèvres recommandations et plaisanteries que nous tentons de déchiffrer. « Nous sommes français » incitons-nous tout-de-même. Rien n’empêchera cet homme aimable de mâcher un mot sur deux, à l’australienne… « Merci pour les renseignements… » Cette fois-ci nous nous offrons le luxe du camping, qui plus est le point de départ de toutes les randonnées du parc. Après lessives et rangement, nous nous lançons dans une courte promenade, gardant le meilleur pour le lendemain. Saint Mary Peak circuit, 21,5km, une randonnée de 9h, voilà qui devrait nous dégourdir ! Au bout de 5km, la randonnée se dévoile être une véritable partie d’escalade. Les pieds ne suffisent plus, il nous faut agripper les roches des deux mains pour nous hisser tout en haut. Près de 3km dans ces conditions nous feront douter quelque peu de notre capacité à boucler le parcours dans la journée.
Cependant, arrivés au sommet du mont Saint Mary, à midi, nous sommes récompensés de nos efforts. Nous nous plongeons alors dans les légendes aborigènes, admirant dans la vallée, les traînés laissées par deux ancêtres métamorphosés en serpent. Le sandwich à la main, nous profitons de cette vue imprenable et savourons le plaisir d’avoir vaincu cette épreuve.
Au loin, un chevreau lance des appels désolés, auxquels Mr Routenvrac s’empresse de répondre. En quelques minutes, l’animal accourt. A l’arrivée, il constate avec déception que Mr Routenvrac lui a joué un mauvais tour… Peureux, il se laissera tout-de-même approcher et hésitera un moment avant de s’éloigner, bêlant de plus belle,… Le pique-nique englouti, nous nous élançons dans la deuxième partie du parcours. Une fois redescendus des roches les plus abruptes, nous avançons à vive allure et décidons de continuer par la voie la plus longue, variant ainsi le plaisir des yeux et des pas.
Retrouvant une basse altitude, marchant à présent dans le « pound », la végétation change aussitôt. Nous troquons palmiers et « totems » contre pins et gommiers rouges. « On parle toujours des sauts des kangourous. Mais as-tu vu comme ils avancent ? » s’amuse Mlle Cartensac. Si leurs deux pattes arrière se prêtent facilement au bond de deux mètres, leurs deux minuscules pattes avant semblent davantage les handicaper. Lorsqu’il s’agit d’avancer à petits pas, pour se nourrir en l’occurrence, le wallabie doit se hisser sur sa grande queue en même temps que ses deux pattes avant. « S’il te voyait, les potentracs !… » se moque Mr Routenvrac.
A l’arrivée, nous sommes épuisés. « J’ai quand même un peu mal aux pieds moi… » avoue Mr Routenvrac en retirant ses chaussures. « Dis-moi, on n’aurait pas oublié de raconter quelque chose à nos potentracs ? » ricane Mlle Cartensac avant de résumer la situation : « Mr Routenvrac a voulu faire sécher ses semelles sur le toit du van. Et… » – « Allez, moque toi. En attendant, je pense qu’il va falloir que j’en rachète à Clare demain parce que sinon mes pieds ne vont pas me le pardonner !»
Avec modération
Le sud de l’Australie est une véritable vigne géante. Dans chaque village, on peut lire le nom d’un ou plusieurs producteurs, prêts à nous faire découvrir leurs spécialités. « Et bien, il va falloir faire un choix » remarquons-nous, heureux à l’idée de retrouver la saveur du vin en bouche. Nous choisissons, au vue de notre itinéraire futur, de faire un tour à « Clare Valley ».
Dans la propriété de Sevenhill, nous sommes accueillis par une charmante australienne, étonnée mais fière d’offrir dégustation à deux jeunes français, amateurs de vin. La France a sa réputation ! Elle nous sert tout d’abord la spécialité de la maison, un blanc Inigo Riesling, très fruité à l’odorat mais piquant en bouche. Voyant notre préférence se poser naturellement sur les vins rouges, notre hôtesse nous propose alors de déguster le rouge Inigo Shiraz crûs 2009 et 2010. « J’aime mieux le côté épicé du 2010 » constate Mr Routenvrac. « Moi, je préfère le 2009, il est légèrement plus fort ». Quel plaisir de tergiverser un verre de vin en main. Avant de nous laisser partir, heureuse d’avoir pu partager un moment de voyage avec nous, la serveuse nous offre à goûter la liqueur de Verdelho, un goût qui nous rappelle aussitôt le muscat.
Elle nous conseille de nous perdre dans la propriété afin d’en découvrir bâtiments en ruine et monuments religieux. Le soleil étincelant dehors, plan en main, nous nous laissons guider. Dans la cave, nous hésitons un instant à emporter avec nous un tonneau. Incertains de pouvoir l’emmener avec nous dans l’avion, nous laissons là, au repos, le crû de 2010, et sortons en direction des vieilles vignes. La propriété est impressionnante. Les maisons de pierre semblent avoir été abandonnées dernièrement. Nous réfléchissons aux travaux envisageables pour nous y installer mais jugeons la salle à manger trop petite et passons notre chemin. Nous admirons l’église Saint Aloysius aux vitraux flamboyants, rares en Australie, et descendons dans la crypte. Ici, nous découvrons les tombeaux des frères jésuites, originaires de la vigne. Trois caveaux restent vides, sur lesquels sont gravés trois noms. Une phrase lue un peu plus tôt dans le musée résonne alors en nous : « Des 70 frères jésuites originaires, il n’en reste que trois… » Nous jetons un coup d’œil au collège jésuite et terminons notre promenade au cœur des vignes. Dans un village situé à quelques kilomètres seulement, Mintaro, nous arpentons les rues aux maisons anciennes.
Une petite boutique d’antiquités nous attire. A notre entrée, le propriétaire, un homme âgé, quitte le fauteuil de son salon et se fige dans l’entrée communiquant avec sa boutique. De loin, il nous observe flâner dans les allées, prêt à se replonger dans son quotidien, aussitôt notre visite terminée. La boutique, d’intérieur comme d’extérieur, a des allures de film de western. Au bout de la rue, nous nous arrêtons devant le bowling club, un sport très développé en Australie et tentons de comprendre chacun des éléments de ce nouveau décor : un mix entre bowling, pétanque et un terrain de golf…
Changement de wagon
Après une nuit passée sur un parking en bordure de route entre Clare et son village voisin, nous reprenons nos places dans le cockpit et empruntons les routes campagnardes. 43 kilomètres plus loin, nous parvenons à Burra, une ville historique, terre minière de 1847 à 1887. Nous marchons le long d’une rivière et observons maisons, église, école, pont, un village tout de pierre construit. A la sortie de la ville, nous découvrons une cheminée qui semble s’être égarée. Déplacée là il y a quelques années, elle rappelle au petit village son passé minier. Souhaitant en apprendre davantage, nous nous éloignons du centre-ville pour tenter d’approcher l’une de ces anciennes mines. Quelques sites touristiques donnent aujourd’hui la possibilité de se plonger dans l’univers minier et ainsi, tenter de comprendre le quotidien sombre de milliers d’ouvriers. Dans l’ancienne mine de cuivre de Morphett, nous découvrons les restes des machines, les cheminées, les chariots abandonnés là et posons le pied dans une tranchée. « Il devait en falloir du courage pour ramper là-dedans » constate Mlle Cartensac. « Fallait pas être trop grand ici…» observe Mr Routenvrac avec stupéfaction. Les vues plongeantes sur le bassin nous donnent un très bon aperçu du site et nous laissent imaginer l’ampleur de l’entreprise.
Alors que le territoire du nord symbolisait pour nous les peuples aborigènes et la beauté du bush, ces quelques jours passés dans l’Etat du Sud de l’Australie nous ont permis d’en apprendre beaucoup sur le démarrage de la colonisation australienne au cours de ces deux derniers siècles. Nous sommes à présent désireux de découvrir l’Australie d’aujourd’hui, faite de mégapoles. En quittant Clare Valley, nous prenons le Cap à l’Est, en direction de Sydney !
Retrouvez l’album complet ici !