Angkor des Temples

Le long de la rivière Sangker

Nous flirtons avec le Mékong et ses affluents depuis notre entrée au Vietnam, mais pour le moment, nous n’avons pas eu l’occasion de nous laisser porter par ses eaux. Vivre à son rythme, découvrir ses occupants, nous n’hésitons pas un instant et entreprenons la traversée entre Battambang et Siem Reap. A 7h, ce jeudi 16 février, lorsque notre bateau à moteur s’élance sur les flots, les bords du fleuve prennent vie petit à petit.

La vie au bord de l’eau

Nous avons souvent arpenté les rues des villes le long du fleuve et avons admiré plus d’une fois les maisons sur pilotis. Toutefois, passés de l’autre côté, la vue d’en bas est plus impressionnante encore. Les habitations surplombent la rivière de plus de 5 mètres de hauteur. Aux pieds des pilotis, les habitants profitent de zones d’ombre. Lorsque nous nous engageons sur l’eau, des deux côtés de la rive, nous assistons à des scènes de vie quotidienne. Hommes, femmes, enfants se lavent, se brossent les dents. Le savon est pendu sur une branche piquée dans l’eau. Les tout petits sont nus, comme à leur habitude tandis qu’adolescents et adultes sont drapés ou même habillés, ainsi plongés dans le fleuve. Quelques-uns font leur lessive, d’autres lavent leur vaisselle. Certaines habitations sont directement reliées au fleuve par de gros tuyaux bleus, pompant l’eau quotidienne.

Nombre des habitants possèdent un bateau et l’utilisent pour pêcher. D’autres pêcheurs se contentent de s’immerger dans l’eau, filets à la main, qu’ils plongent et ressortent à longueur de journée. Devant le nombre impressionnant de pêcheurs, nous sommes, de kilomètre en kilomètre, encore plus impressionnés. « Il ne doit plus y avoir de poisson à force… » Et pourtant si. Décidément la nature semble infatigable. Nous croisons des bateaux emplis de petits poissons, très certainement l’élément principal de l’alimentation de tous ces villageois.

« Tu sais ce qu’il y a dans ces cages? » questionne Mr Routenvrac. « Non. Qu’est-ce que c’est? » – « Des crocodiles! » Sur près de 3km, nous observons des dizaines de fermes de crocodiles, près d’une par habitation. « Qu’est-ce qui est le plus impressionnant? Tous ces crocodiles enfermés ou le fait qu’il n’y en ait plus de sauvage? » – « J’aime autant les savoir enfermer » répond Mlle Cartensac.

Les villages flottants

Nous passons près de 10h à bord de notre embarcation. 10h sans que l’ennui ne nous guette. Assis sur nos sièges, à l’intérieur ou bien plus agréable, sur le toit du bateau, nous profitons de ce moment unique pour nous mais si banal pour tous ces cambodgiens. Alors que la rivière commence à s’élargir, nous traversons un village flottant: maisons, magasins, tous ces bâtiments montés sur pilotis au beau milieu des eaux nous donnent l’impression de flotter. Abasourdis, nous croisons plusieurs barques manoeuvrés par de jeunes enfants en tenue d’écoliers. Et pour cause… « Regarde, c’est une école! Une école flottante! » Mlle Cartensac s’extasie devant les écoliers qui accostent leur barque au ponton de l’école, brandissant haut la main pour nous saluer.


Rencontres saisissantes

Au fil de l’eau, nous parvenons au coeur de la campagne profonde, loin des villes. A 14h, sur le toit du bateau, le soleil commence à cogner sèrieusement. Cependant, nous prenons plaisir, ainsi installés, à saluer tous les enfants que nous croisons. Souvent très excités, ils hurlent « hello » et font de grands gestes de la main, jusqu’à nous voir disparaître au hasard d’un virage. En voilà un qui a décidé de ne pas nous laisser nous échapper. A peine âgé de 4 ans, loin d’être gêné par sa nudité, il se met à courir de toutes ses forces, traversant ainsi maison après maison, balayant l’air de son petit bras, en criant « hello! hello! ». La situation est émouvante et nous tentons de rendre au mieux gestes et voix à ce petit bonhomme que tous autour de lui semblent ignorer. Au bout de quelques 20 mètres enfin, il s’en remet à sa fatigue, s’arrête avant de nous envoyer un dernier « hello ». De loin, il nous regarde nous sauver.

Cette fois-ci, c’est un petit groupe de 4 enfants qui nous salue, très calme, les uns collés aux autres. Une petite pause dans leurs occupations, le temps de nous regarder passer. Tout près d’eux, leurs parents travaillent. Leur maison est très modeste, faite de quelques piliers de bois et de baches en plastique. Soudain, un cri nous prend aux tripes. Un cri d’espoir ou de désespoir, il n’est pas évident d’en juger… Et nous apercevons Toto, notre compagnon de voyage, qui s’est mis à lancer des chewing-gums en direction des enfants. Ceux-ci s’agitent en tous sens, hurlent, se ruent sur les pastilles qui volent, vrillent et retombent sur une butte de terre, un fossé,… Du plus jeune au plus vieux, sans doute âgés de 2 à 8 ans, tous sont en état de trans… « Ont-ils déjà goûter du chewing-gum? » Une chose est sûre, ils n’en laisseront pas un s’égarer malgré la persistance de Toto à en semer sur plus de 20 mètres. Un dernier signe de la main. Le calme est revenu, nous laissant toutefois quelque peu étourdis, troublés.

Seam Reap c’est ici… à 17km!

10 heures d’un trajet langoureux, sur les flots. A notre arrivée, une horde de tuc-tuc nous attend, prêts à nous vendre un trajet que nous ne sommes pas décidés à payer.

« Sur mon ticket, il est écrit Battambang-Siem Reap » insiste Mr Routenvrac. « Oui, vous êtes à Siem Reap, mais en fait Siem Reap est à 17km. » – « Fais-tu partie de cette compagnie de transport? » demande Mr Routenvrac, pointant du doigt l’insigne placardée sur l’avant du bateau. – « Non » – « Alors ce n’est pas avec toi que je veux m’expliquer. » –  » De toute façon, c’est comme ça tous les jours. Vous allez devoir payer un tuc-tuc » rétorque le facétieux conducteur de tuc-tuc. Et en effet, nous n’avons pas le choix. Notre chauffeur de bateau ne souhaite pas même se justifier. Nous négocions un tuc-tuc pour 3 à 4 dollars auprès d’un jeune cambodgien. « Avec vos vélos et tous vos bagages, vous ne tiendrez jamais à 3. » – « Ne t’inquiète pas pour nous, on se débrouille. »   Une fois notre tuc-tuc chargé et les passagers comprimés, notre jeunes chauffeur regarde son engin incrédule, partagé entre éclat de rire et frayeur. Il semble hésiter un instant, craignant que son tuc-tuc n’implose. Finalement, tout sourire, il accepte le défi. En route!

Siem Reap et touristes

Toto, notre camarade de route, nous a conseillé de le suivre à l’auberge Garden Village. Sur place, l’organisation laisse quelque peu à désirer, mais au bout d’un moment, nous finissons par dénicher une chambre à très bon prix (4$). C’est décidé, on reste! Un bar immense, une terrasse avec vue sur le coucher de soleil, un grand terrain de sport entouré de hamacs, une cour pleine de tuc-tuc… Il fallait s’en douter, l’auberge est pleine de jeunes euro/américains venus faire la java! Nous avons le sentiment d’avoir quitté le Cambodge tant l’ambiance est touristique. Et pourtant, nous n’avons encore rien vu!

Dans les rues de Siem Reap, des bars, des restaurants illuminés à coups de guirlandes, des vendeurs de crèpes, des salons de massage, des bains de pieds « poissons laveurs »,… Mais qui voilà par ici? C’est le tuc-tuc de Batman: décoré, équipé d’un poste CD brillant de 1000 feux. Batman est fier que nous l’ayons remarqué mais son originalité perdra vite de son intérêt. Nous découvrons que des tuc-tuc Batmans, il y en a partout. Nous finirons même par croiser la Spidermobile.

Toutes ces fantaisies nous amusent plus qu’elles ne nous effraient. Nous ne voyons qu’une bonne raison de nous être rendus dans une pareille cité: découvrir les temples d’Angkor! Et c’est bien ce que nous allons faire. Les prix des restaurants « locaux » n’ayant d’ailleurs rien d’excessif, nous pouvons nous laisser aller à nos envies, d’autant plus que notre séjour angkorien a prévu d’être sportif!

Les temples d’Angkor

A 17h30, ce vendredi 17 février, les guichets clos, nous tentons notre chance. Nous souhaitons faire un rapide tour des lieux pour nous faire une première impression sans frais. Effectivement, à notre approche, les gardiens nous laissent passer. Nous pénétrons dans le parc et entamons le petit circuit de 17km. Deux circuits goudronnés, de 26 et 17km jallonent la forêt contournant des dizaines de temples, traversant même les plus vastes. De temps en temps, au bord de la route, une famille de singes nous observe passer nous rappelant ainsi que nous pédalons au coeur d’une jungle. Ce premier soir, nous finirons notre promenade en pleine nuit noire, au son des cris des animaux sauvages et à la lueur de nos lampes frontales. Première conclusion, le site n’a définitivement pas été dénaturé et le vélo est sans nul doute le meilleur moyen de le visiter.

Ce samedi 18 février, nous quittons la ville de bon matin et parcourons 5km parmis les tuctucs et les bus emplis de touristes japonais. Pour des petits cyclistes comme nous qui slalomons à tout va, la queue est rapide jusqu’au guichets. Nous voilà munis de nos 2 pass 3jours (et démunis de 80$), prêts à jouer les aventuriers.

En aventuriers

Au-delà de quelques façades jugées trop dangereuses, la plupart des temples sont accessibles dans leur intégralité. Si aujourd’hui nous foulons des ruines, peut-on imaginer, au temps de leur création, la grandeur et la majestuosité de ces monuments érigés à l’éfigie des divinités bouddhistes. Nous tentons de nous representer ce roi Jayavarman II commandant un nouveau temple, son architecte en dessiner les plans, définir les fresques et statues… Puis, bien plus impressionnant, les ouvriers se mettre à l’ouvrage: tailler pierre après pierre, assembler etc… Nous restons cois devant les toits arqués, admirant les pierres juxtaposées les unes sur les autres. « Tu te rends compte qu’ils ne connaissaient même pas la clé de voute! Et malgré tout … C’est spectaculaire ».

Alors que nous pédalons de temple en temple, guidés par plans et chemins, nous ne pouvons qu’imaginer les sensations qu’éprouvaient les paysans, s’aventurant au hasard des sentiers, parfois perdus dans la jungle, en découvrant pour la premiere fois de pareils monuments, tombant nez à nez avec des bouddhas d’une dizaine de mètres de haut. Le temple Ta Prohm est connu pour avoir offert à Lara Croft ses plus belles scènes de tournage.  Nous nous laissons surprendre par le méli-mélo entre nature et construction. Les arbres ont poussé au coeur même du temple adoptant parfois des postures gracieuses mais tout autant mystérieuses, repoussant sur leur passage les pierres malvenues. A la recherche de sensations nous contournons quelques temples, nous risquant ainsi dans la jungle, pas toujours rassurés au gré de nos rencontres… Toiles d’araignées, colonies de mythes, bruits inquiétants, nous  ne nous priverons de rien, soulagés tout de même à la vue d’une ouverture sur la muraille.

La marche des éléphants

Quelque soit le circuit ou le transport emprunté, il est nullement possible de rater la somptueuse esplanade des éléphants à moins de la snober. En relief, gravés ou sculptés, les éléphants semblent saluer notre passage vers les temples Baphuon et Bayon. Il nous faudra y revenir à deux fois pour ne rien  manquer. Malgré un nombre croissant de touristes dans ces temples les plus fréquentés, la nature ne se fait pas oublier. Les pierres se sont effondrées dans certains endroits le temps ayant eu raison de ces monuments. Une fois encore, face à tant de grandeur élévée des siècles auparavant nous restons songeurs. « Que crois-tu qu’il restera de l’époque où nous vivons? Sur quoi s’extasieront les générations futures? » – « Peut-être sur nos machines à laver ou nos micro-ondes… »

En haut sur la colline

 Nous empruntons la voie qui mène tout en haut de la colline, dans l’espoir de rencontrer un éléphant conduisant quelques touristes au sommet. Finalement, nous n’aurons pas cette chance mais la montée aussi difficile soit-elle, payée au prix de notre sueur, nous offre une vue imprenable sur le parc et particulièrement Angkor Wat. Nous regrettons de ne pouvoir emprunter le grand escalier de pierres puisque sa conservation n’est pas encore passée à l’ordre du jour.

Angkor Wat

Ce mardi 21 février, comme des centaines de touristes, nous sommes au RDV. A 6h, assis sur les marches de la grande esplanade, petit déjeuner en main, nous attendons avec impatience ce fameux lever du soleil. Nous avions gardé le meilleur pour la fin, Anglor Wat. Finalement, les premières photos ne seront pas les plus belles mais nous reviendrons plus tard dans la journée, pour multiplier les clichés, dans l’espoir de saisir la splendeur et le faste de ce temple, le mieux conservé. De grands escaliers, de somptueuses allées recouvertes d’une arche, des piscines intérieures, sur les murs des gravures de scènes de vie,…

Comment trouver les mots pour décrire ces chefs d’oeuvre construits siècle après siècle. Trois jours de visites à pleines foulées, de kilomètres parcourus à vélo, il nous aurait fallu bien plus encore pour tout visiter. Nous quittons toutefois les lieux certains d’avoir fait au mieux, satisfaits et pour le moins impressionnés.

Portraits

Malgré l’aspect très touristique de Siem Reap, nous avons été enchanté de constater qu’ici encore, respect, sympathie et complicité sont les atouts du peuple cambodgien. Ces quelques rencontres nous ont marqués.

La vendeuse de beignets

Aux portes des temples d’Angkor, alors que nous sommes à la recherche d’un petit déjeuner, nous nous arrêtons près d’une vendeuse de beignets. Celle-ci nous propose un prix que nous tentons de négocier, toujours incertains de la valeur locale du produit. Mlle Cartensac observe un cambodgien acheter lui aussi à notre vendeuse et d’un ton amusé l’interpelle: « Dis donc tu crois que je ne t’ai pas vu? Il a payé combien ce monsieur pour ces 3 beignets? » La vendeuse se met aussitôt à rire, impossible de nous flouer sur ce coup. « -2000r… Ok, ok tu as gagné je t’en mets 6 pour 1$ (4000r) ». Nous rions tous et lui donnons rendez-vous pour nos prochains petit-déjeuners.

TucTuc Sir ?

Nous connaissons la nouvelle rangaine par coeur. « TucTuc Sir? TucTuc Lady? » nous harcèlent les chauffeurs sur notre passage. Lassés de répondre « non merci », nous n’avons pas l’âme de nous froisser contre les cambodgiens. Alors que Mlle Cartensac trouve bon d’en faire un tube de l’été et entonne son refrain, Mr Routenvrac joue le jeu. « TucTuc? Ok, c’est moi qui t’emmène, tu veux aller où ? » tente-il auprès d’un chauffeur. « A mon hôtel » répond celui-ci tout aussi amusé, tendant les clés de son bolide à Mr Routenvrac.

A table!

A l’heure du déjeuner sur les temples d’Angkor, il n’est nul besoin de chercher bien longtemps. Nous nous approchons de la « zone » de restauration et prenons en main le menu que nous tend une rabbateuse. Devant des prix exhorbitants nous nous apprêtons à repartir. « Attendez, attendez! Discount pour vous! » nous chuchote-t-elle. Nous négocions promptement auprès de celle-ci qui réclame avant tout notre discrétion. « D’accord, d’accord mais chut! » nous supplie-t-elle, jetant un rapide coup d’oeil en direction de ses collègues. Et voila 50% de remise sur le repas.

Après tant de rencontres amusantes, d’échanges et de découvertes dans ce lieu magnifique, il nous serait difficile d’oublier à quel point le Cambodge s’est montré accueillant. Ce soir, nous replions bagages. Un nouveau pays nous attend et nous sommes prêts à le croquer à pleine dents.

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