Passage éclair à la noix de coco
Rencontrer, découvrir, partager, échanger, voilà bien des notions qui raisonnent en nous depuis que nous sillonnons les routes. Cependant, notre visite à Malang sera pour nous l’occasion de découvrir, au-delà d’un nouvel univers, une conception de l’échange bien différente de la nôtre. Lorsqu’Ari nous ouvre les portes de sa boulangerie, ce mardi 1er mai, nous sommes stupéfaits. Il nous explique que nous logerons ici, à quelques mètres de ses fourneaux. Nous n’aurons pas l’occasion de découvrir son univers familial, celui-ci vivant à quelques mètres de là dans une habitation que nous ne serons pas invités à visiter, ni de profiter de ses connaissances sur sa ville, étant bien trop affairé à ses tâches professionnelles… Dans un premier temps, ce qui lui importe est que nous ayons un endroit où loger, une salle de bain pour nous laver. « Ne vous inquiétez pas pour moi » ne cessera-t-il de nous répéter, sans soupçonner vraiment notre envie d’apprendre à le connaître, de partager avec lui un peu de notre voyage, de notre projet,… Ari, loin de nos préoccupations, est pris dans une toute autre jeunesse où travail et obligation laissent bien peu de place au plaisir et à la découverte.
C’est au petit matin, à 3h, que chaque jour, il poussera discrètement la porte de notre « habitation » pour allonger ses louches de pâte verdâtre et en faire des centaines et des centaines de petits fours qu’il distribuera un peu partout en ville à notre réveil. « Est-ce qu’on peut t’aider ? » tentons-nous. Ari, solitaire dans son univers, nous offrira la possibilité de nous balader à moto accompagnés de son ami dans les environs de Malang, nous invitera à découvrir la communauté « couchsurfers » dont il fait partie, partagera avec nous deux repas, mais retournera aussi vite à ses fourneaux après chacune de ses courtes distractions. Nous resterons sur un sentiment perplexe, désireux d’en apprendre davantage sur ce jeune homme rythmé par une entreprise familiale, une spirale qu’il nous avouera, à l’instant de notre départ, être davantage une obligation pour lui, qu’un choix. « Je dois réfléchir à ce que je veux réellement faire dans la vie… » finira-t-il par nous expliquer, sans doute davantage pour tenter de se convaincre lui-même que pour entendre notre avis sur le sujet.
Seuls piétons de toute la ville, nous nous contenterons donc de visiter Malang de notre regard curieux, cherchant à nous écarter du centre-ville, arpentant les ruelles, découvrant au hasard des lieux peu communs tels le marché aux oiseaux, nous extasiant au passage sur des chauves-souris, des vers à soie et des lézards en cage et un vendeur de carreaux de pelouse,…
Bromo ? Bromo ?
Vendredi 4 mai, après une journée complète enfermés dans un bus, nous parvenons à Probolingo. A l’approche de la ville, il nous faut faire face à l’appel touristique du mont Bromo. Chauffeurs, contrôleurs et racoleurs ne cessent de nous demander « Bromo ? Bromo ? », question à laquelle nous répondons avec patience « Probolingo ! Probolingo ! ». Nous comprenons sans difficulté leur insistance incrédule pour la simple raison qu’il n’y a rien à voir à Probolingo, si ce n’est le mont Bromo, à une heure de là. Toutefois, loin des circuits touristiques empruntés par les autres voyageurs, nous sommes attendus ici, dans la petite ville bien locale de Probolingo par Roy, couchsurfer. Roy nous a prévenus. « Surtout n’entrez pas dans la gare routière, appelez-moi et je viendrai vous chercher devant ! » Nous suivons donc ses conseils et regardons de l’autre côté de la rue, les agences touristiques prendre en charge tous les occidentaux de passage.
Chez les routiers
« Je suis désolé, ma maison est très modeste mais j’espère que vous y sentirez bien… » nous annonce Roy, en nous déposant à l’entrée d’une gare routière privée. « Tu vis ici ? » demande Mlle Cartensac, étonnée par cette situation. « Oui, avec ma famille. Mon frère et moi sommes propriétaires de l’agence de bus. » Chaleureusement accueillis par toute la famille, nous ne tardons pas à nous sentir à l’aise dans ce nouveau « chez-nous ». Mlle Cartensac se lie aussitôt d’amitié avec les deux enfants qui, munis de leurs lexiques scolaires indonésien-anglais, se montrent bavards et joueurs à la fois. Jeux d’osselets traditionnels, jeux de cartes et de plateau Cartensac, monopoly local, tout y passe, laissant la barrière du langage de côté. Les subtilités se joueront au regard et à coup de « Yes – No ».
« Qu’est-ce que vous voulez faire ? » nous demande simplement Roy en fin de journée. Nous devinons vite qu’au-delà de l’interrogation, il y a tout un programme. « Qu’est-ce que tu proposes ? » répond Mr Routenvrac, laissant notre hôte suggérer et organiser !
Coucher de soleil et noix de coco
Assis dans la jeep, le chauffeur de Roy nous balade. Nous assistons à un coucher de soleil sur le port, puis nous nous arrêtons pour admirer l’église orthodoxe d’un rouge flamboyant, avant de nous attabler dans un petit bouiboui pour goûter au spécial « Degan Bakar » ; du lait de coco bouilli dans sa noix, « à l’étouffée » en quelque sorte et épicée à la cannelle. Roy nous conseille d’en prendre une pour deux. En effet, la boisson est très particulière mais nous sommes habitués aux fantaisies javanaises et commençons à y prendre un réel plaisir culturel ! La boisson engloutie, l’effet ne se fait pas attendre et quelques vagues de suées parcourent notre corps. Roy nous vente les mérites d’un tel breuvage et nous voulons bien le croire.
Bromo trop tôt
« Vous devriez aller vous reposer. Je viendrais vous réveiller à minuit et demi. » Le lever du soleil sur le mont Bromo… On n’aurait jamais pu imaginer mieux. Roy et l’un de ses amis vont nous y conduire en moto !
« Roy, si on doit rouler aussi longtemps, il nous faut des casques » explique Mr Routenvrac. « Ca ne sert à rien les casques ! » – « A votre manière de les porter, on avait remarqué… Mais pour nous, c’est trop important. » – « Y’a pas de souci, vous prendrez les nôtres. » Nous sommes certes un peu gênés par la situation, mais sommes forcés de nous raisonner : nous ne faisons que respecter notre idée de la sécurité et eux, la leur…
Après une heure de trajet, nous arrivons au pied des montagnes. A présent, il va falloir grimper. Silencieux, dans la nuit noire, nous commençons l’ascension par le sentier prévu à cet effet. La nuit est fraîche et au rythme de nos pas, nos pouls s’accélèrent. Persuadés qu’il nous faudra grimper bien haut, nous prenons notre temps. Sensoul, l’ami de Roy, semble subir davantage notre activité physique nocturne que d’y prendre plaisir… Nous arrivons tout de même rapidement au point de vue visé par Roy. « Il ne nous reste plus qu’à attendre que le soleil se lève » annonce Roy fièrement. « A quelle heure est-ce qu’il se lève ici ? » s’étonne soudain Mlle Cartensac. « Parce qu’il n’est que 2h40 là. »- « Oups ! » réalise Roy… « On a une bonne heure d’avance… » Finalement l’avance se révèlera être de près de 2h… Deux heures à tenter de nous réchauffer, multiplier les tentatives pour allumer un feu, nous emmitoufler dans nos panchos, regretter nos polaires restés eux bien au chaud dans nos sacs, faire les cent pas, écouter patiemment les premiers touristes approcher aux alentours de 4h, puis remercier les locaux d’avoir eu la merveilleuse idée de proposer du café chaud dès 5h,… Toutefois, au premier rayon du soleil, nous étions là !
« C’est le plus beau lever de soleil auquel j’a pu assister ici » s’émerveille Roy. Nous sommes chanceux et conscients de l’être. Et notre ami semble si heureux de nous offrir pareil spectacle. Bien que nous sommes nombreux sur cette falaise à observer l’instant, le silence est de rigueur et rend l’image plus éblouissante encore. Le soleil se lève, discrètement tout d’abord, ses premiers rayons perçant au loin, révélant les premières couleurs de ce paysage vallonné, puis, caressant le flanc des montagnes, dévoilant des couleurs ocre, verte, rouge avant de nous offrir une lumière éclatante. Patients, époustouflés, nous observons en silence, nous laissant envahir par l’émotion produite par cet instant de découverte.
« Est-ce que vous souhaitez monter en haut du mont Bromo ? » nous demande enfin Roy. Le regard plongé dans le panorama, nous ne pouvons qu’acquiescer, nous imaginant déjà au fond de la plaine, là où, depuis notre hauteur, tout nous parait si petit.
De retour sur les motos, nous traversons la vallée. Dans cet espace désertique ensablé, au milieu des 4X4 et des chevaux, nous sommes tout deux plongés dans nos souvenirs. « Ca ne te fait penser à rien ? » demande Mr Routenvrac à Mlle Cartensac en descendant de sa moto. « La Mongolie… » répond Mlle Cartensac, perdue dans ses pensées.
« On va vous attendre ici. Sensoul est trop fatigué pour monter » nous annonce Roy. Comme des centaines d’autres touristes, nous suivons les vagues de sable, escaladons les pentes et attaquons l’escalier de béton peu entretenu menant au sommet du volcan. Une fois celui-ci atteint, nous entreprenons quelques mètres le long du cratère. Large de moins d’1m50, pentu, sans barrière, la balade est réservée aux intrépides. Un regard dans le vide et le cratère fumant semble nous capturer. Regarder de l’autre côté n’est pas beaucoup plus rassurant. Les touristes stationnant sur la « voie », Mlle Cartensac s’accroupie pour ne pas succomber au vertige. Quelques minutes en haut de cette impressionnante marque de la nature nous suffiront.
« Ca vous a plu ? » nous questionne Roy. « Ce sera sans conteste l’un des plus beaux souvenirs de notre voyage ! » le gratifie Mlle Cartensac, laissant sur son visage, un sourire qui ne saurait tromper. Assis derrière nos chauffeurs respectifs, l’heure de route pour rentrer à Probolingo nous paraît interminable tant nous sommes éreintés. « Je lutte pour ne pas m’endormir » souffle Mlle Cartensac à Mr Routenvrac entre deux virages. A l’arrivée, nous tombons de sommeil, un sommeil toutefois perturbé par deux petites crapules qui ne pourront résister à la tentation de venir toquer à notre fenêtre, trop pressés de jouer.
Cimetière de bus
Le soir de cette longue et passionnante journée, Roy nous invite à visiter la gare routière. Nous découvrons avec effroi le cimetière des bus accidentés et leurs histoires. Assis sur un banc, au fond de la cour, dans la pénombre, il nous ouvre les portes de son univers.
« C’est ici que je viens pour réfléchir » nous explique-t-il. Il nous parle de sa vie, de son travail, de ses difficultés à faire respecter l’ordre dans son entreprise, des vols récurrents de ses chauffeurs, des dessous de table soutirés aux touristes. « Il voit les voyageurs comme des gens riches. Ils ne savent pas qui vous êtes. Moi, je le sais. C’est pour ça que j’aime apporter mon aide quand je le peux. Et lorsque je le pourrais, je voyagerai aussi. » Nous discutons près d’une heure, échangeons de nombreuses anecdotes, des histoires de voyage, des rêves, des envies,…
Le lendemain, après un petit déjeuner en famille, un copieux plat de riz jaune acheté par Roy, la maison se vide. Roy nous accompagne dans notre bus tandis que sa femme et ses enfants nous font de grands signes au travers de la vitre. « Vous n’aurez rien à payer pour ce bus, il fait partie de ma compagnie et mon chauffeur vous accompagnera dans votre deuxième bus à destination de Bali. » – « Merci beaucoup Roy ! C’était deux jours extraordinaires. » Voilà tout ce qui put sortir de nos bouches avant que notre ami ne descende rejoindre sa petite famille. Les adieux échangés, nous nous assoupissons aussitôt. La journée se résumera par plus de 12 heures de trajet en bus, une traversée en ferry pour relier l’île de Bali et une arrivée finale à Kuta en minibus à 23h30 heure locale.
Bali, Adieu Indonésie
Kuta, l’Amérique où tout est permis
« LE » quartier effervescent de Bali, le point de rencontres de tous les touristes européens, américains, chinois, japonais,… Fini le temps où l’Indonésien s’étonnait sur notre passage. Nous sommes deux parmi des milliers et ressentons très rapidement que la place d’un voyageur en quête de rencontres locales est une mission impossible ici. Des spots pour les surfeurs, des magasins de marques, des pubs, des restaurants chics, des hôtels de luxe mais aussi des bouibouis et auberges de jeunesse, des agences touristiques, des salons de massage, tatouage… Tout est mis en œuvre pour faire de cet endroit un lieu festif géant. Mais voilà que, passés 21h, il devient un lieu de débauche prisé des jeunes et moins jeunes américains assoiffés,… Nous observons quelques scènes bien plus désolantes qu’amusantes d’épaves hurlantes, titubantes, buvant encore, sous le regard d’hommes et de femmes locaux apparemment habitués à ces comportements. Une situation à répétition qui expliquera sans difficulté le peu d’intérêt que portent les habitants de Bali aux voyageurs occidentaux. Nous imaginons aussi rapidement l’impact que produit un étalage d’argent aussi important en pareil lieu,…
Virée à moto
Nous sommes toutefois décidés à profiter de nos 4 jours qui nous séparent de notre vol pour l’Australie, à découvrir ce qui rend cette île si désirable pour des millions de vacanciers. Pour 5 euros par jour, nous choisissons donc de louer une moto afin de parcourir l’île d’un bout à l’autre. Ce périple nous donnera l’occasion de découvrir toutes les facettes de Bali, des plus culturelles aux plus touristiques, nous permettant d’admirer encore une fois les champs de riz, mais également les nombreuses boutiques artisanales de meubles et objets en bois tout au long de notre route, de nous interroger sur la présence de nombreux édifices religieux en ville et en campagne, certainement mortuaires, de nous extasier sur les cerfs-volants virevoltant haut dans les airs, de demander notre route aux locaux,…
Dans la ville d’Ubud, célèbre pour ses rizières, nous prenons le temps de visiter le temple des singes et ses superbes statues de pierre. Alors que nous observons l’un des temples les mieux gardés par les singes, Mr Routenvrac se fait sauvagement agressé par l’un d’entre eux, très voleur et absolument pas prêteur. « Tu vas me la rendre ma bouteille d’eau ? » – « Euh, vu la tête qu’il te fait, je crois bien qu’il n’en a pas l’intention. » Un peu plus loin, nous observons avec aberration quelques touristes tenter la pause avec un bébé singe ou encore de nourrir ce dernier, à la main, sous le regard très agacé de sa mère, malgré les multiples écriteaux dissuasifs.
Au dernier jour de notre virée, Mr Routenvrac se décide enfin à sortir sa canne à pêche sur une petite plage isolée. Le trou creusé par les vagues, absolument incroyable, l’oblige à revenir en courant après chaque lancée de ligne. Les vagues, en marée remontante, nous surprenne chaque fois un peu plus haut, finissant par atteindre la moto que nous avons garé quelques mètres plus loin. Dans la précipitation, Mr Routenvrac voulant sauver son sac de la noyage, le soulève. Celui-ci lui glisse des mains et retombe, dans l’eau… « Allez, on l’a bien cherchée celle-là… Une petite photo pour les potentracs ?! »
Négoce à Bali
En cinq jours sur l’île de Bali, nous dormons en 5 auberges différentes, de quoi nous faire une petite idée sur le service rendu… Etrangement, les prix sont balancés au hasard : 80.000, 100.000, 150.000 rupiahs, pour un même service on ne sait jamais trop à quoi s’attendre mais on finit par supposer. Il n’est pas dans la nature des indonésiens de négocier et encore moins d’arnaquer. Aussi se trouvent-ils ici, en ce lieu touristique, bien embêtés de devoir annoncer un prix. A la tête du client, on s’adapte. Si le client accepte trop vite le prix proposé, le propriétaire suppose qu’il n’a pas suffisamment élevé le prix et annonce quelques modifications : la wifi gratuite passe finalement à 20.000 rupiahs, il ne s’agit plus de la chambre X mais de la chambre Y, on doit quitter les lieux à 11h et non à midi,… Lorsque le petit déjeuner est compris, on peut également s’attendre à tout, du demi-toast au thé froid. Et si l’électricité coupe, il faudra se contenter de l’eau froide… Lorsqu’à l’inverse, le prix semble choquer le touriste, on trouvera au fond du couloir une chambre un peu moins chère mais sans eau chaude, sans wifi, sans ci et sans ça, de quoi nous contenter tout de même, mais sans le sourire !
Petit coin de paradis à bon prix
Et pourtant, en longeant la côte sur des dizaines de kilomètres, nous l’avons trouvée la raison de la réputation de cette île. Partout sur notre passage, y-compris sur ces portions de route où rien ni personne ne semble vivre, nous sommes interpelés par des panneaux indiquant quelques maisons d’hôte ou hôtels. En nous approchant, nous découvrons de véritables petits coins de paradis : jardins exotiques, allées fleuries, plage privée, terrasses et piscines, accueil en uniforme… Un véritable jardin d’Eden pour des prix souvent raisonnables, allant de 30 à 100 euros la nuit pour deux. Un rêve accessible pour de nombreux touristes et la seule raison valable à nos yeux de prendre congés sur cette île.
Après quatre jours à moto, nous retrouvons la ville de Kuta sans grande émotion. Nous profitons de la soirée qui nous reste pour nous offrir un dernier plat indonésien, conscients que dès demain, notre quotidien sera bouleversé par l’appel du kangourou.
Retrouvez l’album complet de Bromo à Bali ici